"La Bouseuse" et moi avons vécu un peu la même histoire... et avec ce texte, elle m'a donné à réfléchir...

Texte brut.
 

De ceux qui ne veulent pas nous voir (heureuses ou pas)
« Le souvenir de J. sera trop présent, je ne suis pas aussi forte que toi », lui disent des invités à son mariage...
Moi ce fut plutôt "Ça fait bizarre de te voir..." et aucune nouvelle de ses meilleurs amis. Je sais très bien qu'ils ne peuvent pas, que c'est trop dur de me voir, parce que je leur rappelle ce qu'ils essayent d'oublier. Mon ex. Sa mort.

Un suicide remet tous les proches en question. Regrets, incompréhension, culpabilité...

Ma tante préférée m'a dit un jour après m'avoir lue qu'elle regrettait de ne pas avoir été là pour moi à ce moment-là. Elle ne fait pas partie de ceux que j'estime ne pas avoir été là.

Je comprends ses amis. Je comprends. Mais je n'accepte pas. En vrai, je suis très en colère contre eux. Je connais le processus, je l'ai pratiqué aussi face à ma belle belle-maman. Sa douleur ne s'effacera jamais. Et pendant un temps, dès que je voyais son visage, j'avais envie de pleurer. Alors quand ma vie se tourne davantage vers le présent et le futur que vers le passé, j’évite un peu de la voir.

Alors oui, je comprends. Mais n’empêche, ça fait mal. Pas pour le soutien, parce que j’en ai eu tant qu’il le fallait, mais plutôt pour l’évocation du passé, les souvenirs en commun. Parler du Mari sur le ton de l’anecdote est très important pour moi. Ça fait du bien. Et ce n’est pas si fréquent. Parce que si mes amis l’ont connu, les siens l’ont mieux connu. Par leur peur, ils nous privent eux et moi de sourires et de rires. Ses amiEs le font avec moi, et je leur en sais gré.

 

De notre "force"
On me le disait déjà quand je vivais avec lui, maniaco-dépressif : comme tu es forte, je ne sais pas comment tu fais. Je donnais alors l'image suivante : tu vois quelqu'un se noyer devant toi, tu plonges. Point.

Après sa mort, on m'a dit "Tu es forte, tu vas surmonter ça". C'était vrai, bien sûr, mais sur le coup, j'avais juste envie de hurler "là je ne suis pas forte du tout !!! Et je ne suis pas sûre d'y arriver..."

Ce n'est pas de la force. À partir du moment tu exclues le suicide, c'est simple : tu n'as pas le choix.

On vit avec, on survit, on vit sans, on vit malgré.

Je suis forte, mais j'ai dû en passer par la dépression, par toutes les étapes classiques du deuil, en fait.

Oui, oui, je suis forte. Je suis une « dure au mal », une Wonder Woman, une résistante.
Je suis surtout forte pour me blinder, me construire une forteresse, pour occulter, pour que ça me revienne à la gueule sous forme d’anti-antidépresseurs, anxiolytiques ou d’opération chirurgicale... Oui je suis forte.

La forteresse est en plastique, gonflée aux larmes, et elle fuit régulièrement maintenant. Et en vrai, je la préfère dégonflée…

 

"Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière."
Fêlée, je le suis depuis longtemps. Sauf qu'il y a longtemps, c'était seulement le côté rigolo. Depuis 4 ans, je suis fêlée pas rigolo aussi.

Mais fêlée rigolote, je le suis d'autant plus, aussi. Oh que oui la lumière passe. Tout est meilleur. Non, tout est plus fort. Joies ET peines. Adolescente, je disais que les Indiens m'auraient appelée "Larmes faciles".

Xave, la Bouseuse et Lédésor en parlent assez bien pour que je ne m'étende pas.

 

Nous sommes des résilients. Remis debout. Des revenus. (Mon amoureux en est un pur et doux, d’ailleurs).
On se comprend, souvent on se reconnaît, et ça fait du bien, ça aide. On se comprend, on se console. Mais on est toujours tout seul au monde, oui.
Seul avec ce chagrin incommensurable, les montées d'angoisse n'importe quand, n'importe où. Seul comme un enfant qui a peur du noir.

Seule aux dates d’anniversaire que lui seul avec moi commémorait. Dont personne ne se rappelle aujourd’hui.

 

De ce(ux) qui reste(nt)
J'en porte des cicatrices, des marques, des maux, parce que si ma douleur fut intérieure, ça s'est vu à l'extérieur.

Aujourd'hui, elle ne se voit plus. Les amis de mon ex seraient rassurés en me voyant : on s'en remet. Aujourd'hui, je parais équilibrée, et je pense l'être. J'ai tout. Un travail épanouissant et motivant, des activités épanouissantes et motivantes, des amis épanouissants et motivants, un amoureux épanouissant et motivant...

C’était mon identité, ça ne l’est plus. Je ne revendique pas cette… ce… drame, disons. Je ne me vante pas de m’en être remise (si, si, je vous jure, il y en a des qui aiment clamer leur passé difficile), non plus. Je me demande plutôt comment faire enlever la mention "veuve" de ma feuille d'impôt et si ça apparaîtra sur une nouvelle carte d'identité, histoire que quiconque la regardera soit au courant de ce que j'ai de plus intime...

Je vis après.

 

*****

 

Voilà, ç’aura été plus long que prévu… Désolée pour tous les liens...

En conclusion, le passage d’un livre que j’ai déjà cité, mais m’en fous, d’abord :

« Je ne savais pas qu’on pouvait vivre, travailler, plaisanter et être malade de douleur. J’ignorais que l’être disparu vous permettait d’exister au travers de son absence. Je ne savais pas que la mort avait cette générosité-là, cette grandeur d’âme. Je ne savais pas que la place du mort était mouvante, qu’elle épousait les contours, qu’elle était parfois étouffante, parfois si discrète qu’elle en devenait inquiétante. (…)

J’ignorais qu’on pouvait être à la fois détruit et concentré sur son travail, effondré et souriant, triste et disponible, nostalgique et amoureux. Et toi non plus, tu n’en as pas idée. C’est facile de jeter cette phrase, de dire que je l’ai oublié. C’est facile de se contenter de ce que l’on voit. Il continue de bouger, comme un cœur qui bat. Il est là, imprévisible, mais toujours en mouvement. Docile ou fulgurant. Assoupi ou insolent. Il m’habite désormais, sans me faire sombrer. Je le porte comme un enfant. »

Brigitte Giraud, in L’amour est très surestimé.